Il y a quelques mois, je reçois un message proposant de participer à une opération de crowdfunding pour l’un des plus grands chefs japonais, Hisayuki Takeuchi. L’objectif est d’aider à installer son nouveau laboratoire de cuisine au coeur de Paris. En échange, bento ou repas d’exceptions. Il y a quelques années, j’avais ‘longuement rencontré l’auteur de ces délices resté trop longtemps dans l’ombre. Retour sur le parcours d’un artiste hors norme qui cuisine pour soigner l’âme et le corps de ses hôtes.
« Si vous ne faites pas de fautes à la dictée, je vous invite à dîner ». Comme chaque semaine, le chef japonais de cuisine française Mizugushi s’adressait ainsi à ses apprentis, n’enseignant son art qu’à ceux qui apprendraient la langue et la culture de France. Parmi eux, Hisayuki Takeuchi. C’était il y a trente-cinq ans, au restaurant étoilé Le Piaget de Tokyo, étape marquante pour ce jeune fils de paysan destiné à devenir le chef le plus étonnant de la nouvelle cuisine japonaise.
Casquette noire, polo à manches longues sous un T-shirt de cycliste, jean sombre et baskets fluo, Hisayuki Takeuchi ressemble à un étudiant. Son visage sans ride ne reflète absolument pas ses cinquante-sept ans. Une étrangeté de plus à l’actif de ce cuisinier qui brise tous les codes liés à la gastronomie de haut vol, ne respectant que la qualité des ingrédients et ce qu’il considère comme l’art en perpétuelle évolution de son métier.
Derrière son comptoir, Hissa prépare comme chaque soir une œuvre culinaire disposée sur son unique héritage familial, les grands plats de porcelaine légués par son grand-père où figurent depuis deux siècles des poissons bleus stylisés. Les fines lamelles de coquilles Saint Jacques crues perlées d’une goutte d’huile d’olive y côtoient les sashimi de dorade et de turbot, le yuzu à croquer avec sa peau « aux actifs rajeunissants » ou les sushis à l’avocat et purée de framboise. Un festin issu directement ce soir d’une interprétation de Mondrian mâtinée d’un paysage où l’on devine une cascade s’écoulant jusqu’à une rizière poissonneuse. « Un souvenir de mon enfance, quand j’habitais avec ma mère à Ogaya ». Avant de devenir un chef respecté, Hissa a suivi un parcours surprenant qui débute dans l’île de Shikoku, tout en haut du chemin gravissant la montagne jusqu’à la dernière bâtisse, une ferme coiffée de chaume où trimait seule sa mère. Le personnage clef dans la vocation de Hissa. Lire la suite →