Et si on allait dormir là où les stars viennent s’enfiler des jéroboams de bulles ? Allez viens, mon G, on file à Reims, chez la Veuve. Un petit décodage pour voir la métamorphose que les chantres du marketing appliquent à la paysannerie.
Avant, en Champagne, on connaissait cela: des gentilhommières. La vraie star, c’était la terre.
L’une des maison (nettes) de Clicquot. Photo Laurence Picot
Avant. La Maisonnette. Dehors. Photo Laurence Picot
La déco de la maison Clicquot à l’ancienne. Photo Laurence Picot
Après 2012, un tout autre monde…Adapté aux Kanye West et consorts qui déboulent
Pergola des frères Campana à l’Hôtel du Marc. Photo Laurence Picot
Notre copine durant le séjour. G l’adore, il veut lui piquer ses lunettes. Photo Laurence Picot
Chaque marque Champenoise de renom possède des demeures où recevoir ses hôtes de prestige, atout non négligeable pour permettre de rayonner de par le monde. Charmants manoirs et autres gentilhommières raffinées parsèment ainsi la campagne austère de la région. La facette gentleman farmer des propriétaires vinicoles laisse percevoir le labeur ardu des cultivateurs qui trouvent un repos mérité dans un environnement chic mâtiné d’une modestie de bon alois. Enfin, tout cela, c’était valable jusqu’en 2012…
Après quatre ans de travaux, l’hôtel du Marc, propriété de la Maison Veuve Clicquot-Ponsardin depuis 1907, est prête à dévoiler ses nouveaux atours et révolutionner les normes d’accueil des Maisons de luxe en vin de Champagne.
entrée de l’hôtel du Marc. Photo Laurence Picot
L’hôtel du Marc. Photo Laurence Picot
Lorsque les membres du *Comité Colbert y ont été reçus à déjeuner au printemps, les sourires de circonstance n’ont pu que se teinter du fameux jaune Clicquot. Aucun des invités, représentant les plus grandes marques du luxe Français, n’a dû évoquer à voix haute le coût d’une telle réalisation, savoir-vivre oblige. Mais pas un n’a omis d’additionner intérieurement les montants requis, au fur et à mesure qu’il tâtait de l’épaisseur des tapis sur mesure et découvrait le raffinement inouï en chaque détail de la demeure. Tablons sur les indiscrétions, et onze petits millions d’euros nécessaires pour rénover en majesté cet hôtel particulier situé à deux pas de la cathédrale de Reims. Un investissement pharaonique, sans compter le coût des employés à demeure, du maître de réception aux chefs de cuisine et autre personnel d’entretien. Ni encore les tableaux, photos et écrits historiques préservés depuis deux cent cinquante ans, trésors inestimables des archives d’une entreprise qui a su préserver les traces de son passé remontant à 1772.
Chambre de Mathieu Lehanneur, dans l’hôtel du Marc.
Lorsqu’en plus, ils découvrent les pièces de designers comme la salle de repos futuriste de Mathieu Lehanneur et la pergola des frères Campana, ou le banc sculptural de l’argentin Pablo Reinoso… La fameuse pulsion du désir n’a pas manqué de vriller les esprits lorsque chacun est rentré chez soi. La barre est haute.
Sculpture au premier palier. Les ceps domestiqués. Photo Laurence Picot
Un hôtel très privé
L’Hôtel du Marc n’est pas un hôtel au sens actuel, mais un lieu privé, « pour les amis, les personnalités, les meilleurs clients, les représentants des pays étrangers, la presse ou même François Arnauld, le fils du fondateur de LVMH propriétaire de Veuve Clicquot. » nous confie Olivier Livoir, officiel hospitality manager. Protégée par de hauts murs, la bâtisse fut édifiée en 1846 par Edouard Werlé à qui Madame Clicquot venait d’offrir le terrain pour fêter son nouveau statut d’associé dans son entreprise. Elle sera rachetée aux héritiers par la société. Abîmée lors des combats de la seconde guerre mondiale, elle évita miraculeusement la destruction au contraire de 70% de la ville de Reims. Quelques dommages dus aux éclats d’obus restent sur la façade en mémoire. L’architecte d’intérieur Bruno Moinard, nouvelle coqueluche des maisons de luxe (Hermès, Cartier, Château Latour) a su mêler créations et restaurations historiques pour donner à l’ensemble l’âme d’une propriété familiale d’esthètes tournés vers l’avenir sans faire table rase du passé.
Du charme ravissant à un décor à couper le souffle
La bibliothèque et son autruche. Photo Laurence Picot
Sabina Belli, directrice générale de Veuve Clicquot, a voulu intégrer ici toutes les valeurs de la marque et les inscrire en lettres jaune d’or dans la mémoire collective. « L’héritage et notre patrimoine, la qualité de notre vin de champagne, la créativité de notre maison et le zeste de folie qui nous caractérise. » Brief plus ou moins précis qui se verrait ben appliqué à une foultitude de marques. En résumé, la Veuve veut une démonstration en live de l’art de vivre à la Française… Selon Clicquot. La salle de lecture où trônent créations du designer Hervé van der Straeten et autruche sellée et casquée de cuir. Le salon meublé de larges canapés et fauteuils Louis XV tapissés rappelant que le beau-père de Madame Clicquot était fabricant d’étoffes. La grande salle à manger rehaussée d’or aux lambris historiques mais teintés de noir comme le plancher. Un bar-salle de jeu et ses murs couverts de frigos à champagne translucides remplis, sous des lustres façon Louis XV en néon, baby-foot aux couleurs de la Maison, meuble frigo à magnums millésimés de Porsche Design. À l’étage, un palier ensoleillé expose le tableau de la Veuve et sa petite fille Clémentine qui selon la légende inspira par son nom la couleur de l’étiquette déposée en 1877, et le banc sublime de Reinoso, dont les lames de bois domestiquées sur l’assise se poursuivent en volutes sauvages pour former ensuite une fenêtre sagement encadrée. Le couloir ponctué de tableaux de familles géants posés au sol, dessert cinq chambres au décor différent et à l’irrésistible French touch. Notons l’absence volontaire de télévision. Le lifestyle idéal selon Veuve Clicquot réside dans l’expérience vécue et pas par procuration.
Une commode ? Photo Laurence Picot
non, un frigo…. Rempli. Photo Laurence Picot
Tout au long d’un séjour en ces lieux, l’invité écoute l’histoire de la Maison tout autant que celle de la culture des vignes et la création du champagne pendant qu’il déguste les différents crus maison. Il n’est pas question d’évoquer la puissance de la marque dans un marché ayant retrouvé son allant et une *croissance record de 6%, ni ses 514 hectares de vignes (sur 1967 possédés par le groupe LVMH), ni encore un chiffre d’affaires se comptant en milliard d’euros avec 82% issu de l’export. Ce sont pourtant de bonnes raisons pour justifier l’investissement sur l’hôtel du Marc ! Ne serait-ce que pour appuyer son développement pour les marchés émergeants de Chine, Russie, Brésil, Australie et Argentine qui dépassent toutes les espérances. Il s’agit de s’adapter à cette nouvelle clientèle extra-européenne et bousculer les codes habituels de communication. Moins de modestie, plus d’évidences.
Même le baby foot est aux couleurs de la marque. Photo Laurence Picot
Le couloir pour se rendre aux chambres. Photo Laurence Picot
L’hôtel du Marc est dans ce contexte l’outil le plus aboutis de marketing et communication qui ait été créé jusqu’ici en Champagne. Les valeurs revendiquées ici s’illustrent en un écrin dans lequel plonger ses visiteurs triés sur le volet. On en ressort convaincu d’avoir rencontré en personne la veuve Barbe-Nicole Clicquot-Ponsardin propulsée au XXIe siècle. La seconde plus importante Maison de Champagne fait ainsi totalement oublier les millions de bouteilles vendues au bénéfice de l’idée d’une entreprise de taille familiale, encore caractéristique principale du concept de luxe.
Portrait de la Veuve Clicquot. Photo Laurence Picot
*Comité Colbert : association créée en 1954 réunissant 75 maisons de luxe et 13 institutions culturelles de prestige Françaises.
*croissance record 2011 : les 6 marques de LVMH (sur 366 exploitations recensées en champagne), Dom Pérignon, Krug, Ruynart, Mercier, Veuve Clicquot et Moët et Chandon, ont expédié 55,6 millions de bouteilles en 2011, une progression de 6% correspondant à 18, 3 % de parts de marché. Source Rapport d’exercice 2011 LVMH et Insee. En 2012, 56, 8 millions (exercice 2012).
Article paru dans Terres de Vin, magazine de Sud Ouest. 2012. Texte et photos Laurence Picot
Pour voir les autres voyages de mon Goyard… https://laurencepicot.wordpress.com/my-goyards-trips/